Au pays de Donald Trump, les producteurs de sucre opèrent avec une « gestion de l’offre » sous stéroïdes
Alors qu'il promet un libre marché, le président Donald Trump continue de soutenir une gestion de l'offre de l'industrie du sucre américaine.

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Le président américain Donald Trump fustige la gestion de l’offre canadienne (GO) et utilise sa guerre tarifaire pour ouvrir des marchés aux denrées agricoles américaines. Pourtant, les producteurs de sucre américains opèrent avec une GO sous stéroïdes.
« Importer du sucre d’autres pays mettrait nos producteurs à risque, parce que le sucre importé est subventionné et vendu à prix de dumping en bas du coût de production des exportateurs », explique Neil Rockstad, lors d’un témoignage1 afin de reconduire la politique sucrière américaine devant un comité sénatorial à Washington au nom de l’Alliance américaine de sucre2.
L’organisation dit regrouper quelque 11 000 producteurs de sucre de betterave et de canne de même que des transformateurs (en majorité des coopératives), procurer 151 000 emplois dans 24 états et générer 23 milliards $ US annuellement à l’économie américaine.
Président de l’Association des producteurs de betterave sucrière, Neil Rockstad dont la ferme se situe au Minnesota, argumente dans son témoignage que les consommateurs américains bénéficient d’un approvisionnement sécuritaire de sucre, un ingrédient essentiel à la nation, de très haute qualité, produit de façon durable; que les transformateurs alimentaires en l’utilisant répondent aux exigences sociétales; et que les États-Unis ne peuvent risquer de manquer de sucre dans un contexte de dérèglement climatique qui peut affecter la production mondiale ou géopolitique comme la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine ou au lendemain de la COVID-19.
Quotas, tarifs, revenus garantis en fonction des coûts de production, programme d’écoulement des surplus de production, prêts avantageux à la filière : la production de sucre de betterave et de canne aux États-Unis, sixième producteur au monde, est largement soutenue par Washington et blindée à la concurrence étrangère3.
Quotas et tarifs
Le Département américain de l’agriculture (USDA) estime chaque année les besoins des consommateurs et de l’industrie, soit 13,8 millions de tonnes courtes en 2025-26. Les producteurs et transformateurs de sucre de betterave et de canne américain produisent environ 9 millions de tonnes courtes annuellement et « bénéficient de prêts avantageux pour avoir des prix de marché au-dessus des prix mondiaux » note l’Institut canadien du sucre4 qui regroupe des producteurs de sucre de betterave en Alberta.
Les frontières américaines ne s’ouvrent au sucre étranger – un volume annuel entre 2,5 et 4 millions de tonnes courtes – qu’au prix de quotas, de contingents tarifaires, de mesures compensatoires et de tarifs élevés, allant jusqu’à 380 $/tonne, sous le couvert d’ententes commerciales bilatérales, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou encore sous l’Accord États-Unis-Canada-Mexique (ACEUM)5. Le Mexique, gros fournisseur de sucre aux États-Unis et accusé de dumping, subit des taxes compensatoires. Quant à l’Institut canadien du sucre, celui-ci n’hésite pas à parler de « concurrence déloyale ».
De plus, note l’Institut canadien du sucre, en cas de surplus de production et pour soutenir les prix domestiques du sucre, le Département américain de l’agriculture rachète les surplus pour les diriger à la production d’éthanol ou encore subventionne les exportations.

Le sucre, deux fois plus cher aux États-Unis
L’utilisation de tarifs pour protéger l’industrie sucrière américaine n’est pas nouvelle et remonte aussi loin que 1789, année où une jeune Amérique en quête de revenus taxait les importations de sucre pour renflouer ses coffres. L’industrie du sucre s’inscrit dans les gènes de la politique américaine jusqu’à aujourd’hui.
« Le prix du sucre aux États-Unis est le double du prix mondial. Depuis les années 1980, les subventions octroyées au monopole du sucre et les tarifs aux frontières coûtent entre 2,5 et 4 milliards $ E.U aux consommateurs… », note une analyse réalisée par l’American Enterprise Institute (AEI), un groupe de réflexion de droite6.
« Des pays comme le Canada imposent aussi des tarifs prohibitifs aux produits laitiers américains, mais le fait que d’autres pays ont des politiques inefficaces n’est pas une raison pour que les États-Unis emboîtent le pas », poursuit l’AEI.
Le groupe soutient que le prix élevé du sucre aux États-Unis engendre des pertes de 17 000 à 20 000 emplois par an parce que les transformateurs alimentaires et les fabricants de confiserie vont s’établir ailleurs (c’est une des raisons pour laquelle la multinationale du chocolat Barry Callebaut est établie à Saint-Hyacinthe au Québec). De plus, toujours selon l’AEI, le prix élevé du sucre de betterave ou de canne aurait favorisé l’adoption de sirop de maïs à haute teneur en fructose, moins dispendieux, par des géants comme Coca-Cola.

Donald Trump et « le cartel du sucre »
« Le président américain Donald Trump a régulièrement promis d’éliminer les intérêts spéciaux et de drainer le marais, peut-être devrait-il commencer par le lobby du sucre (et du maïs) », soutiennent des auteurs de la Fondation Héritage7. Cette fondation est responsable de la rédaction de la bible économique de l’actuel occupant de la Maison-Blanche basée sur le marché libre, appelée « Project 2025 »8. Ce projet ultra conservateur de quelque 900 pages vise à réformer et à rapetisser le rôle du gouvernement fédéral américain dans toutes les sphères de la société.
Toutefois, le 4 juillet dernier, jour de l’indépendance américaine, le président Trump signait son mégaprojet de loi « Big Beautiful Bill » qui reconduit entre autres des aides avantageuses aux producteurs de sucre américain. Sous l’influence de son controversé secrétaire à la Santé, Robert F. Kennedy Jr, qui livre une guerre au sirop de maïs à haute teneur en fructose au nom de la santé des Américains (diabète, obésité, etc.), le président annonçait sur son réseau Truth Social que Coca-Cola considérait maintenant l’adoption de sucre de canne dans sa recette.
Alors que le président américain fustige la gestion de l’offre au Canada, les artisans de son programme économique se demandent pour quelles raisons il ne commence pas par éliminer « ce système communiste » chez lui? Ceux-ci évoquent en guise d’explication le lobby exercé par l’Alliance américaine du sucre à Washington. Dans son bureau ovale, le président calcule sans doute le coût politique du vote des producteurs de sucre de betterave et de canne aux prochaines élections de mi-mandat prévues en novembre 2026.
Références
1 L’Alliance américaine du sucre a décliné la demande d’entrevue du Coopérateur pour interviewer M. Neil Rockstad d’où le recours à ce témoignage https://sugaralliance.org/wp-content/uploads/2023/05/Testimony_Rockstad_05.02.2023.pdf
2 https://sugaralliance.org
3 https://www.ers.usda.gov/topics/crops/sugar-and-sweeteners/policy
4 https://sugar.ca/international-trade/north-american-trade?lang=fr#:~:text=Accord%20Canada–États%2DUnis–Mexique%20(ACEUM)&text=et%20le%20Mexique.,du%20marché%20du%20sucre%20américain
5 https://ers.usda.gov/sites/default/files/_laserfiche/outlooks/112958/SSS-M-443.pdf?v=55806
6 https://www.aei.org/wp-content/uploads/2022/01/Recapping-the-Effects-of-the-US-Sugar-Program.pdf?x85095
7 https://www.heritage.org/public-health/commentary/americas-addiction-big-sugar-leaves-bitter-aftertaste#:~:text=from%20government%20intervention.-,Federal%20government%20subsidies%20for%20domestic%20sugar%20production%20have%20existed%20since,revenues%20from%20subsidies%20and%20tariffs
8 https://static.heritage.org/project2025/2025_MandateForLeadership_FULL.pdf